Enfants cachés...On nous prend-On nous pique- On nous brûle-

Publié le 31 Mars 2021

Enfants cachés Izieu Massip
"On nous prend, on nous pique, on nous brûle. »

Publié le 16 Novembre 2010

Chère Madame Thieux

Ma mère m'a communiqué votre adresse e-mail et je me permets de vous écrire - hélas plus tard que je ne le souhaitais - au sujet d'un spectacle que je mets en scène en ce moment en ..., une adaptation pour théâtre visuel/marionnettes d'un opéra.

 En me rendant à la bibliothèque, le premier CD que j'ai eu en mains était de Nguyen Thien DAO,  Les enfants d'Izieu. J'ai été emballée par la musique (en particulier les chœurs d'enfants), un peu moins par le sujet qui me paraissait si gigantesque et quelque part si inconnaissable. Mais quand j'en ai parlé à ma mère, elle m'a parlé de vous et voilà. Comme quoi le monde est petit et il y peu de hasards

 Mon approche en quelques mots :

 Je ne veux pas représenter Auschwitz, ou la déportation. Je ne m'en sens pas capable. J'ai toutes les chances de tomber dans les lieux communs parce que je n'ai pas eu le temps de digérer ou rechercher correctement.

  Ce qui me touche au sujet d'Izieu, c'est le contraste entre un lieu chaleureux et la machine froide de l'Histoire; le contraste entre l'enfance et les faits. Du coup, je me suis replongée avec plaisir dans La poétique de l'espace de Gaston Bachelard, pour comprendre un peu mieux la chaleur du lieu habité. 

 Mais, je déteste voir au théâtre des adultes jouer les enfants, prétendre jouer les enfants. Et je refuse de faire cela à mes deux actrices en leur faisant prendre le rôle des enfants d'Izieu (et les marionnettes remplissent très bien ce rôle). Alors en cherchant ici et là une solution à ce problème, je suis tombée sur une conférence concernant "le syndrome du survivant". J'ai été très émue par deux sentiments auxquels je peux me rattacher humainement (quoiqu'à une autre échelle bien sûr) : l'impuissance et le sentiment de culpabilité. Mais surtout je suis fascinée par le chemin que suivent ces deux sentiments dans la durée chez l'individu. Comment certains parviennent à les transformer en une force positive, comment d'autres sont enchaînés par ces sentiments. Qu'est-ce qui fait que l'on peut ou aue l'on ne peut pas survivre sa survivance ? Plus généralement, le phénomène de résilience.   Voilà où je me trouve en ce moment. Et voici les questions que j'aimerai vous poser :

1. L'enfance

D'abord, quel souvenirs avez-vous d'Izieu, quelles images sont restées vivantes. Cela peut toucher n'importe quelles images. J'espère pouvoir les interpréter au mieux sur scène. 

Ensuite, j'utilise sur scène des billes et des cordes-à-sauter, mais y-avait-il d'autres jeux auxquels vous jouiez souvent par exemple? Y avait-il des jeux plus cruels ? Une question qui pourrait sembler stupide mais qui me taraude : jouiez-vous parfois à la guerre entre enfants pendant la guerre ou après ?

Vous-êtes vous sentie seule ? J'ai lu que vous aviez "appris à haïr" vos parents d'être Juifs, avez-vous pourtant souhaité leur présence durant la guerre, ou après ? Si oui, quelle forme de présence ?

 2. Impuissance et Culpabilité

Je voudrais savoir si vous avez ressenti un sentiment d'impuissance face à la mort des autres, et/ou celui de culpabilité d'avoir survécu. Si tel est le cas, dans quels moments de votre vie ont-il été le plus présents ?

Comment avez-vous vécu votre/vos grossesses ?  

Comment décririez-vous la solitude qui résulte de cette expérience, si solitude vous avez ressentie ? Aviez vous quelqu'un avec qui partager vos questionnements ?

 3. Dépasser et transformer

Enfin, quel(s) cheminement(s), quelle(s) rencontre(s), quel(s) évènement(s) vous ont permis de dépasser ces sentiments. Comment le deuil a-t-il pu se faire ? 

 Si votre pensée rencontre des images en lisant cette lettre, je serais ravie de les lire. En fait, je serai heureuse de lire toutes pensées, liées ou non à mes questions. Je les ai formulées simplement pour vous aider peut-être à me répondre, mais elles n'ont pas à être toutes traitées, loin de là (il y en a tellement !). Je n'attends pas nécessairement une réponse longue, mais un échange sincère.

 Le spectacle est un travail d'école et la durée pour le préparer bien plus courte qu'elle ne le devrait. En effet, le spectacle est prévu pour le 14 Décembre et cette semaine seulement nous est donnée pour la réflexion. Mais j'espère, grâce à votre aide, proposer une adaptation sincère de l'opéra et des évènements qui l'ont inspirés.

Je serais heureuse de vous lire par e-mail ou de vous parler au téléphone. Malheureusement, en raison d'un festival à ...  j'ai un emploi du temps très chargé mais je devrais être libre pour un rendez-vous le soir ou tôt le matin, si vous choisissiez le téléphone.  Merci encore....P.F.

Un corps d’enfant momifié voilà ce que j’étais. Une âme d’enfant Domi-fiée.Nous n’étions pas des enfants, mais des adultes enfantins par la TRAQUE vécue au quotidien à l’encontre des Juifs avec la Peur Constante d’être déportés. On nous prend, on nous pique, on nous brûle.

Personne d’entre nous n’a la même perception de notre vie interrompue pour moi. Certains enfants disent ne pas avoir du tout les mêmes souvenirs, peut-être en raison du Silence de Sécurisation des parents, de la famille, et du Risque énorme et des conséquences tragiques qui auraient eu lieu si plusieurs de ces enfants avaient été élevés ou avaient perçus dans la PEUR de la TRAQUE. Ces réflexions et ces paroles d’adultes nous les avons comprises près de 60 ans plus tard, lors de retrouvailles où les souvenirs des unes, des uns et des autres ressurgissaient derrière la mémorisation « gommée » plus ou moins inconsciemment de ce temps là Il ne faut pas oublier qu’à quelques mois près, ou un à deux ans, les vécus évoluent dans des proportions considérables en regard de la conscience de l’ambiance du moment. Pour nous tous nous savions et nous voyions bien que les militaires croisés, les soldats rencontrés n’étaient plus français et parlaient une langue différente, sauf pour la milice et les gendarmes. Toutefois –pour certains cas d’exception- l’image d’une colonie de vacances…a été seule retenue Hélas.

N’oublions pas que la conscience politique des adultes en grande partie refusait de croire la Réalité du Plan inscrit dans Mein Kampf se pensant protégés par une nationalité française, ou de réfugiés politiques garanties par le gouvernement du Maréchal Pétain inféodé aux Maîtres du IIIème Reich.

Je n’étais pas à IZIEU. J’étais après de nombreux périples cachée à Massip (Aveyron)  au couvent des Religieuses de la congrégation des Filles de Marie Notre-Dame sous la responsabilité de la Mère supérieure, et en particulier de Madame Bergon. Mise là du jour au lendemain fin 1942 apeurée, effrayée, sous un faux-nom venant d’être baptisée catholique le 18 décembre 1942 à Figeac (Lot). Avec le critère « si tu parles, si tu dis qui nous sommes, si tu dis ton autre nom on nous TUE -et la lancinante incantation- "On nous prend, on nous pique, on nous brûle".
J’avais déjà en 1941 dû « changer » de prénom…Margot …ça ne faisait pas chrétien alors vas-y pour Marguerite. C’était à Gratens chez Mme Cazelles où nous habitions dans un grenier. Surtout ce que je retiens c’est l’église de Gratens dont Madame Cazelles garnissait de fleurs l’autel.
Beauté et Senteur des Iris me restent présentes.
A chaque fois que Madame Cazelles passait devant l’autel  -plouf-, elle faisait une génuflexion et moi je l’imitais.
J’ai été prise d’un immense respect. Le Bon DIEU. J’avais 6 ans.

J’ai appris chez elle à tricoter. Je ne me souviens que d’un seul jeu « cache-cache ».

Avec Maman je jouais aussi au jeu « du moulin » ce jeu compagnonnique que j’apprendrai bien plus tard.Comme elle n’avait pas de jetons elle prenait des haricots de couleur. A chacune sa couleur et réciproquement.

Avec mon frère les cartes « à la bataille ». Les dames ? C’était lui et notre mère.

Dès1942 je suis parquée à Figeac  INSTITUTION JEANNE D'ARC Chaque jour une religieuse racontait en exemple une belle histoire. Je vivais l’histoire de saintes et saints comme si c’était la mienne ; je m’étranglais d’émotion quand on nous racontait la crucifixion de Jésus par les Juifs.
Ne pas être juive était devenu mon obsession.

Alors le jour de mon baptême catholique 18-12-1942 je me suis sentie délivrée de cette monstruosité, délivrée de ma famille, de mes parents, que j’ai commencé à haïr. EUX étaient Juifs pas moi.
 Eux étaient Juifs plus moi, j’étais sauvée, c’est tout ce qui comptait.
Les pensées les plus horribles m’ont assaillies « je vais les dénoncer aux allemands ».
L’idée de mon frère m’a retenue, je ne serais d’ailleurs pas là si je l’avais fait, lui non plus bien sûr.
                      Je priais, j’allais à la messe, je voulais être Sainte.

Interne à l’école Institution Jeanne d’Arc, je me souviens de la difficulté à lacer mes chaussures de l’apprentissage au réfectoire à « peler » les pommes de terre en robe des champs. Chaque interne avait une boite « en bois » pour y mettre des provisions, quand nos familles nous en donnaient lors de sortie…

Nos jeux étaient celui de la Marelle, c’est plus tard que j’apprendrai son symbolisme. Nous jouions à la ronde au « mouchoir de Paris », à « passe-passe petit pont,  la dernière la dernière, passe-passe petit pont la dernière restera ». Aux -gendarmes et aux voleurs. La punition du voleur était : la guillotine en plaçant notre tête sous l’articulation de la chaise pliante que le gendarme pliait. Le jeu de la statue ; la fillette qui avait pris la plus jolie pose pouvait faire danser sauter les autres qui se tenaient bras-dessus bras-dessous et à l’ordre Arrêtez chacune prenait la pose d’une statue ; celle retenue comme la  plus belle devenait à son tour celle qui faisait danser.

Les petite filles un peu plus grandes et qui avaient des balles pouvaient « jongler » contre le mur. Boudi que c’était beau ! Voir les balles s’entrecroiser, revenir dans les mains était un spectacle dont je ne me lassais pas. Les billes ? Les filles en jouaient très rarement c’était davantage réservé aux garçons. Celles de mon frère étaient ocre bien foncé, couleur de terre, couleur de certaines tuiles, certaines étaient en verre multicolores, ces dernières me faisaient rêver. Poupée ? En carton extra-plate avec des habits en carton que nous découpions en prenant soin de garder les pliures pour faire retenir en les pliant le vêtement sur les épaules de la poupée. Je savais très bien punir la poupée. Je la punissais souvent. Punie comme moi. Margot tu t’appelles Marguerite…répète :

Cerf tu t’appelles Cordier répète, répète. Marguerite Cordier Marguerite Cordier.  Ma famille a gardé nos initiales…M.C.

Si tu nous rencontres tu dis à Papa Bonjour Monsieur, à moi Bonjour Madame. Ne parle jamais de nous ! Répète…répète. Partir, fuir, avoir très peur de plus en plus et c’est Massip pendant deux ans…MASSIP, le couvent, ma vie au Secret, la peur. J’avais même peur de Madame Bergon qui savait tout de moi et pouvait –c’est ce que je pensais-me dénoncer aux Allemands. J’ignorais que nous étions tous des enfants cachés parce que juifs…Même moi BAPTISÉE !  J’écris à ma mère, elle ne répond pas à mes lettres. Je la hais encore plus. Elle doit être bien contente elle m’a abandonnée, elle ne m’aime pas. Je suis orpheline. A Massip le jeu des « osselets » a pris une place importante dans ma vie. J’ai tellement joué aux Osselets avec une autre petite fille que bien des anciens s’en souviennent  encore sur un petit mur.

Les 4 faces des osselets, le nombre de parties que l’on peut en tirer sont à comparer aux 4 mères des pistes suivies par les Figures de la Géomancie… Aux « osselets » il y a des parties à ne pas faire celles où l’on fait carotte par exemple. En Géomancie de même-  certains thèmes ne sont pas à faire.  

Nous ne jouions pas à la guerre. La Guerre se jouait bien assez de nous.
Madame Bergon m’a dit bien après la guerre « Les enfants d’İZİEU ont été déportés parce que tout le monde savait qu’ils étaient JUIFS.
A Massip tout le monde ignorait qui vous étiez »

Mes chers amis : Si vous le souhaitez...je peux encore ...

Rédigé par Margot Thieux

Publié dans #Enfants cachés-Shoah., #FOI, #GUERRE, #GÉOMANCIE INITIATRICE

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C
Merci madame Thieux pour ce thème parfaitement éclairant et m ayant bien défini , merci pour votre générosité et votre aide je ne peux que vous recommander , vous êtes une belle âme et je suis ravie de vous avoir connu ❤️🙏❤️🙏
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